L’appropriation des normes nationales par les « street level bureaucrats » :
l’exemple des Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation
Hakim Bellebna Ceraps-Lille 2
Ils sont nombreux à rejeter l’idée de devenir de simples constructeurs d’une base de données sur les personnes placées sous main de justice qui seraient appréciées par un autre, en l’occurrence les juges d’application des peines. Pour nombre de CPIP, il y aurait une trop forte propension de la part de la « japerie » à faire une lecture partielle des informations sur le parcours des condamnés en les déconnectant de la réalité sociale à laquelle ils doivent faire face et aussi de son évolution tout au long du suivi. Prenons l’exemple d’un cas qui nous est rapporté par un agent du SPIP de Braimac.
« Sincèrement, pour avoir parlé avec des magistrats, je me suis aperçu qu’il y avait une dimension entre la population pénale, ou sous main de justice, et eux, qui était absolument…. Catastrophique. Y a un JAP, une fois qui m’a appelé, avec qui j’avais et j’ai toujours de bonnes relations… Et en fait, avec la personne qui était suivie, on avait décidé de faire une conversion jour-amende. Ça veut dire qu’il doit payer une somme tous les jours, et de ce fait là c’est sa peine. Il m’a dit : « je l’ai condamné à 30 jours amendes à 15, 20 euros je sais plus trop », et il m’appelle parce qu’il est content, pour lui, il l’avait aidé. Mais je lui ai dit : « vous vous rendez compte ? Il a le RMI, comment voulez-vous qu’il paye ?… ». Pourtant c’est un magistrat qui n’était pas frais moulu de l’école… il s’est pas rendu compte de ça, pourtant je fais des rapports et tout sur les ressources. Et là, c’est un exemple en particulier, mais j’en ai plein d’autres »
La rétention et la sélection des informations, et donc le « raccourcissement » des écrits, sont des moyens de s’assurer que l’appréciation que chaque agent fait du suivi d’une personne dont il à la charge sera partagée par les autres acteurs de la chaîne pénale.
En dehors des usages voués à la circulation de l’information sur le condamné, les agents voient dans les décisions prises sur informatique et les repères écrits datés, un outil de traçabilité et d’évaluation quantitative de leurs activités. De ce fait, dans certaines situations, comme au SPIP 44, le traitement administratif, entendu comme la saisie informatique des données de suivi, devient un outil de repli de la part des CPIP pour prévenir la sanction. Les agents ont le sentiment de « travailler sous surveillance », de ce fait, ils jouent avec les traces écrites pour attester d’une prise en charge « effective » (du point de vue quantitatif) des dossiers pour faire face à l’évaluation dont ils sont l’objet et se prémunir des mises en accusation par l’administration, qui plus est traumatisantes en ce qui concerne les services de Loire-Atlantique. Cette application mécanique de la méthode prescrite comme produit d’une stratégie de protection de la part des CPIP est typique du phénomène qui lie intérêt et obéissance que Weber décrit en ces termes : « on obéit à la règle lorsque l’intérêt à lui obéir l’emporte sur l’intérêt à lui désobéir ».
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