FRANCE INTER (Lundi 22 août 2022) Les lois dures font-elles baisser significativement la criminalité ?

Résumé

Le débat de midi s’intéresse aux lois pour lutter contre la petite comme la grande délinquance : les lois les plus restrictives sont-elles les plus efficaces ?

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Face aux rodéos urbains, qui ont de nouveau fait l’actualité cet été, une loi a été mise en place en 2018, “renforçant la lutte contre les rodéos motorisés”. Avec cette loi, le rodéo, qui n’était jusque-là qu’une simple infraction au code de la route, devient un délit, passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. On peut donc s’interroger, malgré le renforcement de la loi, que quatre ans plus tard, les rodéos continuent. Quelle est donc l’efficacité de cette loi, mais aussi de toutes les autres, qui viennent durcir les dispositifs qui existent déjà ?

En 2021, deux criminologues américains ont travaillé sur un ensemble de lois aux Etats-Unis, et leur conclusion est la suivante : « augmenter la sévérité des peines n’est pas une approche efficace pour réduire la délinquance.” Et de nombreux chercheurs partagent leur analyse.

Peut-être un signe qu’en matière de sécurité, l’approche en France a assez peu évolué. De fait, en 1980, Alain Peyrefitte, le ministre de l’Intérieur de l’époque, prononçait ces mots : “La prévention ne porte ses fruits qu’à long terme. Et devant la montée de la violence, il est impossible d’attendre. La peur du gendarme est le commencement de la sagesse, aujourd’hui comme hier. Encore faut-il que les policiers et les gendarmes se sentent soutenus par tous. Par la justice et par tous aussi”.

40 ans plus tard, ce sont à peu près les mêmes types de formules qui sont employées, jusqu’au nom des lois qui se ressemblent. En 1980, c’était “sécurité et liberté”, en 2021, elle s’appelait “sécurité globale”. Alors même que le taux de criminalité en France est sensiblement le même depuis les années 80, et même en baisse depuis le début des années 2000. Alors les lois les plus dures sont-elles les plus efficaces ?

Quand plus de pénalisation n’entraîne pas moins de récidives

Le sociologue et criminologue Sebastian Roché explique que la France reste très souvent cantonnée dans une approche où la bonne police serait celle qui ferait forcément peur et la bonne justice, celle qui incarcérerait beaucoup plus là ou, ou au contraire, au sein d’autres pays européens (en Angleterre ou dans les pays nordiques), on considère que la police doit au contraire travailler au consentement pour diminuer les taux de récidive puisque, les pays qui ont le moins de délinquants ne sont pas forcément ceux qui ont les plus grandes prisons ou le plus grand nombre de policiers : « Les Etats qui durcissent les lois ne connaissent pas de diminution de la délinquance plus importante que les autres Etats, et les personnes qui sont soumises à des peines plus sévères, et particulièrement les jeunes, ne sont pas moins délinquants après avoir été plus sévèrement condamnés, mais ils sont plutôt plus délinquants et plus récidivistes. Souvent, les personnes veulent entendre un discours de sévérité parce qu’elles croient que ça équivaut à de la protection. Mais le problème, c’est que cette sévérité ne va pas leur apporter de protection dans les faits« .

Samra Lambert, juge d’application des peines au Tribunal de Justice de Créteil, rappelle au passage que le volet répressif n’est qu’un aspect de la réponse à apporter puisque « les chiffres et études qui sont avancés montrent une chose, c’est que la pénalisation, ça n’a pas modifié les pratiques. Il faut sortir de cette conception uniquement répressive puisque cela ne fonctionne pas. On parle d’un fait social avec une vision pénaliste, donc une vision court-termiste et en plus contreproductive. On y donne une réponse uniquement de sanction, sans prendre en compte justement toute cette acception beaucoup plus large qui nécessiterait de mettre en place des politiques publiques et d’investir un autre champ que celui que le volet répressif« .

La surpopulation carcérale en lien avec une surpénalisation ?

La réalité de cet empilement législatif et de l’empilement des infractions pénales, c’est une inflation carcérale estime la juge d’application : « Il y a de plus en plus de faits qui sont pénalisés, de plus en plus de personnes en prison. La France est le seul pays européen qui a vu sa population pénale augmenter« .

La suite à écouter…

  • Sebastian Roché, sociologue et criminologue et auteur de « La Nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police » aux éditions Grasset (2022)
  • Samra Lambert, juge d’application des peines au Tribunal de Justice de Créteil et secrétaire nationales du Syndicat de la Magistrature
  • Jean-Philippe Deniau, journaliste, chef du service Police Justice à France Inter. Président de l’association confraternelle de la presse judiciaire (APJ)
  • Stéphane Liévin, policier et vice-président de l’association « Agora des citoyens, de la police et de la justice »

 


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