FRANCE INTER , émission Zoom Zoom Zen » Désistance, sortir de la délinquance » , (12 novembre 2024)
La désistance, ce concept américain, développé par le criminologue John Laub et le sociologue Robert J. Sampson, théorise et analyse la sortie de la délinquance des prisonniers et le taux de récidive de ces derniers.
Avec
- Marwan Mohammed Sociologue, chargé de recherche au CNRS (Centre Maurice Halbwachs).
En 2014, l’Observatoire de la récidive et de la désistance est fondé, afin de rassembler et d’analyser les données sur ces sujets, dans l’objectif de formuler des recommandations. Ce dernier est supprimé en 2020 par la loi d’accélération et de simplification de l’action publique.
Alors que le système carcéral est de plus en plus remis en question, de nombreuses solutions sont développées partout dans le monde pour réduire le taux de récidive. C’est le cas notamment du Danemark, qui a développé des prisons ouvertes pour les peines de moins de 5 ans. Ces prisons sans véritables gardiens ni miradors font de plus en plus leurs preuves, permettant d’abaisser le taux de récidive des vols à 28 %.
Comment évaluer cette désistance ? Quels en sont les facteurs ? Peut-on réellement réduire le taux de récidives en changeant le système carcéral ? C’est ce que Zoom Zoom Zen va décrypter durant cette heure.
Avec Marwan Mohammed, sociologue, chargé de recherche au CNRS. Vos travaux portent essentiellement sur la jeunesse dans les quartiers populaires et les sorties de délinquance.
Échapper à sa condition
Pour Marwan Mohammed, le type d’engagement dans la délinquance peut conférer à une forme d’aliénation, et même d’addiction : « Une partie de la délinquance tient sur les addictions, il y a des personnes qui sont en situation d’addiction et qui volent pour consommer. Leur délinquance tient donc uniquement sur leur addiction. Mais il y a d’autres personnes pour lesquelles la délinquance peut être passagère. Elle peut être ponctuelle, circonstancielle, liée à un contexte bien particulier. Le problème de sortie de délinquance, c’est qu’on est parfois moins addict à sa propre délinquance que pris dans une situation qui confère à la délinquance. Je pense que ce qui est le plus dur, c’est de sortir d’une condition qui amène à la délinquance. »
Les origines du terme désistance
Le terme désistance vient de deux sociologues, John Laub et Robert Sampson. L’un et l’autre étaient chercheurs à Harvard au début des années 90, ces deux hommes se penchent sur le travail 50 ans plus tôt d’un couple, Eleanor et Sheldon Glueck. Ils ont travaillé sur les facteurs qui peuvent engendrer la délinquance juvénile. Le couple Glueck, tous les deux criminologues, avait mené des études sur le comportement de 1000 jeunes âgés entre 10 et 17 ans. Parmi eux, la moitié était déjà répertoriée comme délinquants. Leur travail va se faire sur plusieurs décennies afin de savoir pourquoi certains entrent dans la délinquance et d’autres en sorte.
Les conclusions de ce travail, ce sont Laube et Sampson qui vont les tirer dans deux livres : Début partagé et Vie divergente – Garçons délinquants jusqu’à l’âge de 70 ans, publié en 1995 et La criminalité en devenir, cheminement et points tournant dans la vie, sorti en 2006. De ces deux ouvrages, un enseignement s’impose : il n’existe pas de déterminisme social qui lierait un individu à la délinquance. Il est possible de ne pas récidiver et donc d’être dans la désistance. Autre enseignement important, la prison n’est pas un facteur garantissant la désistance, même lorsque les conditions d’enfermement ont été particulièrement rudes, au contraire.
Si cette notion vient des États-Unis, en France, un des premiers à l’avoir utilisée est l’invité de cette émission, Marwan Mohammed. En 2012, il publiait un essai Les sorties de la délinquance théorie, méthode, enquête où il souligne deux définitions possibles de la désistance : la sortie de la délinquance et la non-récidive.
Sortie de délinquance et récidivisme
Quand on en parle de récidive, on parle en termes judiciaires comme l’explique Marwan Mohammed, alors que quand on s’intéresse aux sorties de délinquance, on évoque le processus sur le long terme : « Les deux ne se croisent pas forcément parce qu’on peut sortir de la délinquance et être récidiviste, comme la sortie de délinquance est un processus sur le long terme. J’ai déjà observé des cas de jeunes qui étaient tombés pour trafic de stupéfiants et qui finalement passent à autre chose, s’inscrivent dans une formation, commencent à travailler, mais croisent dans leur quartier des policiers avec lesquels ils ont eu affaire à plusieurs reprises, le ton monte, les mots fusent, et il y a outrage, et donc comparution immédiate et incarcération alors que c’était une personne qui était dans un processus de sortie de délinquance. À l’inverse, on a des personnes qui ne récidivent pas, mais qui continuent leur carrière de délinquance sans se faire prendre. »
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