Un débat criminologique oppose depuis des décennies deux approches pour lutter contre la récidive des conducteurs en état d’ivresse : la punition (amendes, prison, suspension de permis) et la réhabilitation (éducation, traitement de l’alcoolisme, groupes de parole). Une étude fondatrice de Faye S. Taxman et Alex Piquero (1998), analysant des milliers de cas dans le Maryland, apporte des réponses surprenantes qui éclairent encore notre compréhension aujourd’hui. (Taxman, F. S., & Piquero, A. (1998). On preventing drunk driving recidivism: An examination of rehabilitation and punishment approaches. Journal of Criminal Justice, 26(2), 129–143)
L’Étude Clé : Méthode et Découvertes
Les chercheurs ont analysé les dossiers de 3 671 conducteurs condamnés pour CEA entre 1985 et 1993 dans le Maryland, suivant leur parcours pendant 3 ans pour mesurer la récidive. Leur outil principal : une analyse de survie de Cox, permettant d’évaluer l’impact relatif de différentes sentences tout en contrôlant des facteurs comme l’âge, le sexe ou les antécédents.
Voici ce qu’ils ont découvert :
1. La Réhabilitation l’emporte (Globalement) : Contre toute attente, les sentences axées sur la réhabilitation se sont révélées plus efficaces que les punitions pures pour réduire la récidive tous conducteurs confondus.
- La psychoéducation sur l’Alcool réduisait le risque de récidive de 22% (RR = 0.78).
- Le Traitement de l’Alcoolisme (souvent ambulatoire) réduisait le risque de 17% (RR = 0.83).
- En revanche, les approches comme l’abstinence imposée ou l’obligation d’aller aux Alcooliques Anonymes n’avaient aucun effet significatif.
2. La Punition a Peu d’Impact (Globalement) : Aucune des mesures punitives étudiées (amende, prison, suspension de permis, probation simple ou supervisée) n’a montré d’effet déterrent significatif sur la récidive dans l’échantillon global. Certaines semblaient même légèrement augmenter le risque (RR > 1), bien que de manière non significative.
3. Première Infraction : La Clémence Intelligente Fonctionne : Pour les premiers délinquants, l’approche la plus efficace s’est avérée être le « Probation Before Judgement » (PBJ). Cette mesure clémente (l’infraction est effacée du casier si la probation est réussie) a réduit la récidive de 27% comparée à une condamnation classique (« guilty disposition »). Cela suggère qu’une sanction moins formelle et stigmatisante, axée sur une seconde chance et potentiellement liée à une forme de « honte réintégrative » (Braithwaite), peut être très dissuasive pour les primo-délinquants. Les approches réhabilitatives n’ont pas montré d’effet spécifique significatif pour ce groupe.
4. Facteurs Individuels Prédictifs :
- L’Âge : Les conducteurs plus âgés récidivent moins.
- Le Sexe : Les hommes récidivent plus que les femmes (surtout parmi les primo-délinquants).
- Antécédents Routiers : Le nombre de condamnations pour infractions routières antérieures (excès de vitesse, etc.) est un prédicteur fort de la récidive de CEA. Ceci corrobore la « Théorie Générale du Crime » (Gottfredson & Hirschi) suggérant qu’un faible contrôle de soi sous-tend divers comportements à risque, incluant les infractions routières et la conduite en état d’ivresse.
Implications Criminologiques et Politiques : Un Équilibre à Trouver
Cette étude pionnière, malgré ses limites (données des années 80-90, manque d’info sur la sévérité exacte des sanctions ou l’observance des traitements), offre des leçons cruciales :
- La Réhabilitation Mérite Sa Place : Ignorer les traitements éducatifs et thérapeutiques de la dépendance alcoolique dans la lutte contre la récidive DWI est une erreur stratégique, notamment pour les récidivistes. Cibler la cause sous-jacente (l’abus d’alcool) porte ses fruits.
- La Punition Pure a des Limites : Compter uniquement sur la sévérité des sanctions (amendes légères, courtes peines de prison) pour dissuader les conducteurs ivres semble inefficace, voire contre-productif dans certains cas. La certitude de la sanction et sa nature (comme la perte effective du permis) pourraient être plus importantes que sa simple sévérité.
- Adapter la Réponse au Profil : Distinguer primo-délinquants et récidivistes est essentiel. Une approche clémente et réintégrative (comme le PBJ) fonctionne bien pour les premiers, tandis qu’une combinaison de sanctions et de réhabilitation profonde semble nécessaire pour les seconds.
- Au-Delà des CEA : Le lien fort entre les infractions routières « banales » et la conduite sous influence souligne que les comportements à risque sur la route forment souvent un continuum. La prévention globale de l’insécurité routière doit en tenir compte.
Vers une Approche Équilibrée et Fondée sur les Preuves
L’étude de Taxman et Piquero rappelle avec force que la criminologie doit guider les politiques pénales. Dans le cas complexe de la conduite en état d’ivresse, ni la punition pure ni la réhabilitation seule ne sont des solutions miracles. L’efficacité maximale semble résider dans :
1. Une combinaison judicieuse des deux approches.
2. Un ciblage précis basé sur le profil du délinquant (primo vs récidiviste, antécédents).
3. La priorité aux interventions ayant fait leurs preuves : l’éducation sur l’alcool et les traitements pour les récidivistes, et des sanctions alternatives réintégratives pour les premiers délits.
Plus de 25 ans après sa publication, cette recherche reste un pilier pour comprendre comment lutter efficacement contre un fléau routier persistant, en rappelant que la réponse la plus « dure » n’est pas toujours la plus intelligente ni la plus efficace.

Professor Faye Taxman, Mason University
Faye S. Taxman est professeur à l’université George Mason. Elle est reconnue pour son travail dans le développement de modèles de systèmes de soins continus qui relient la justice pénale à d’autres systèmes de prestation de services, ainsi que pour la réorganisation des services de probation et de surveillance des libérations conditionnelles, et pour les modèles de changement organisationnel. Elle a mené une enquête organisationnelle à plusieurs niveaux sur les systèmes correctionnels et de traitement de la toxicomanie afin d’examiner l’utilisation des pratiques fondées sur des données probantes dans les établissements correctionnels et de traitement de la toxicomanie et les facteurs qui influent sur l’adoption de processus et d’interventions fondés sur des données scientifiques. Elle a réalisé plusieurs études qui examinent l’efficacité de divers modèles de transfert de technologie et de processus d’intégration du traitement et de la supervision. Dans une étude, elle explore l’utilisation de la gestion des contingences et des systèmes d’incitation pour les dé
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