La strangulation non fatale dans les violences conjugales
La strangulation non fatale est une forme de violence conjugale encore sous-estimée dans les pratiques judiciaires, médicales et sociales, malgré son rôle critique comme indicateur de risque d’homicide. L’étude menée par Nancy Glass et al., publiée dans The Journal of Emergency Medicine, met en lumière l’importance de reconnaître cet acte comme un marqueur prédictif de tentatives ou d’homicides réussis contre des femmes victimes de violences conjugales.
La strangulation : un risque létal souvent invisible
L’étude révèle que 43 % des femmes assassinées par leur partenaire et 45 % des victimes d’une tentative d’homicide avaient subi au moins un épisode antérieur de strangulation non fatale, contre seulement 10 % des femmes victimes d’abus sans tentative d’homicide. Cette donnée indique que la strangulation est l’un des prédicteurs les plus puissants d’un passage à l’acte létal.
Pourquoi est-ce grave ? Parce que cet acte :
- Ne laisse souvent aucune trace visible immédiate.
- Peut entraîner des séquelles neurologiques, psychologiques ou respiratoires sévères.
- Est sous-déclaré par les victimes qui n’en mesurent pas toujours la gravité.
Facteur aggravant reconnu dans le risque d’homicide
Après contrôle des autres facteurs de risque, les auteurs montrent que le fait d’avoir été étranglée augmente :
- par 7,5 fois le risque d’homicide ;
- par 6,7 fois le risque de tentative d’homicide.
L’importance de ce facteur est telle qu’il surpasse d’autres variables sociodémographiques (âge, niveau d’éducation, emploi, situation conjugale).
Des variations sont toutefois observées selon l’ethnicité : le risque relatif est plus élevé chez les femmes blanches et latinas comparativement aux femmes afro-américaines — bien que pour toutes les catégories, la strangulation reste un indicateur significatif de danger.
Implications pour les pratiques professionnelles
Les résultats de l’étude appellent une adaptation immédiate des pratiques en criminologie et dans le traitement des violences conjugales :
1. Détection systématique par les intervenants
Médecins urgentistes, policiers, travailleurs sociaux doivent systématiquement poser la question de la strangulation, même en l’absence de signes physiques apparents.
2. Évaluation renforcée du risque létal
La strangulation doit déclencher une procédure d’évaluation du danger accru (ex : outil Danger Assessment) et des mesures de protection renforcées (hébergement d’urgence, mise à l’abri, intervention judiciaire rapide).
3. Documentation médico-légale précise
Les professionnels de santé doivent consigner précisément les signes cliniques (troubles de la voix, œdèmes cervicaux, pétéchies…) pour alimenter les dossiers judiciaires et renforcer les poursuites pénales.
4. Formation des professionnels de justice et de santé
L’étude encourage le développement de modules spécifiques pour les forces de l’ordre et le personnel médical afin d’améliorer l’identification et la prise en charge des cas de strangulation.
5. Renforcement des cadres juridiques
Des États américains (comme l’Idaho) ont déjà criminalisé la strangulation comme délit spécifique, même sans lésion apparente. Une telle évolution législative est recommandée ailleurs, y compris en Europe, pour reconnaître la gravité de cet acte.
Conclusion
L’étude démontre que la strangulation non fatale n’est pas un simple geste de violence parmi d’autres, mais un prédicteur clinique et criminologique de premier plan pour les homicides conjugaux. Ce constat doit pousser les professionnels de santé, de justice, de police et de probation à ajuster leurs pratiques de détection, de protection des victimes et d’intervention judiciaire.
En matière de prévention des féminicides, ignorer un tel signal d’alerte serait une erreur lourde de conséquences.
0 commentaire