Le Somatic Experiencing (SE) est une méthode thérapeutique développée par Peter A. Levine, expert en biophysique médicale et en psychologie, qui se concentre sur le traitement des traumatismes et des troubles liés au stress en s’appuyant sur les réponses physiques du corps. Cette approche, également connue sous le nom de thérapie somatique, repose sur l’idée que le corps retient les traces des expériences traumatiques sous forme de tension, de stress ou de dysrégulation du système nerveux. Contrairement aux thérapies cognitives comme la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), qui se focalisent sur les pensées et comportements, le SE privilégie une approche « bottom-up », c’est-à-dire qu’il commence par les sensations corporelles (interoception, proprioception, kinestésie) pour aider les individus à libérer ces tensions et à rétablir un équilibre dans leur système nerveux.
Les sessions de SE sont généralement menées en personne et impliquent que le client suive ses expériences physiques, comme des tensions musculaires, des picotements ou des sensations de chaleur, tout en étant guidé par un praticien, souvent un professionnel de la santé mentale. 

Principes clés du Somatic Experiencing

  1. Trauma comme énergie « coincée » :
    Lors d’un danger, le corps mobilise une énergie intense pour survivre. Si cette énergie n’est pas déchargée (par exemple, en cas de sidération ou d’impuissance), elle reste « piégée » dans le système nerveux, créant des symptômes chroniques.
  2. Théorie polyvagale (Stephen Porges) :
    Le SE s’appuie sur cette théorie pour expliquer comment le trauma perturbe le système nerveux autonome (SNA), favorisant des états d’hyperactivation (fuite/combat) ou d’hypoactivation (effondrement/dissociation).
  3. Titration :
    Technique consistant à aborder les sensations traumatiques graduellement, sans submerger le patient, pour éviter la réactivation brutale du trauma.
  4. Pendulation :
    Alternance entre la focalisation sur des sensations désagréables liées au trauma et des ressources corporelles apaisantes (p. ex., ancrage dans le présent).
  5. Réponse défensive complétée :
    Recréer symboliquement les mouvements ou actions que le corps n’a pas pu accomplir pendant le trauma (p. ex., pousser pour se défendre), pour « débloquer » l’énergie figée.

Techniques utilisées

  • Conscience corporelle : Observer les sensations physiques (chaleur, tension, picotements) pour identifier les signes de blocage.
  • Ressourcing : Renforcer les souvenirs ou sensations de sécurité (p. ex., imaginer un lieu sûr).
  • Décharge physiologique : Libérer l’énergie par des tremblements, pleurs, ou mouvements involontaires.
  • Jeu avec l’immobilité : Recréer des situations de contrôle pour désamorcer les réponses de sidération.

Mécanismes :

  • Réduction de l’hyperactivation de l’amygdale (liée à la peur).
  • Amélioration de la variabilité du rythme cardiaque (indicateur de résilience au stress).
  • Restauration de la connexion cortex préfrontal/cerveau limbique pour une meilleure régulation émotionnelle.

Évaluation de la recherche soutenant le SE

Pour évaluer les preuves scientifiques soutenant le SE, une revue de littérature d’ampleur publiée en 2021 (Somatic experiencing – effectiveness and key factors of a body-oriented trauma therapy: a scoping literature review) a analysé 16 études jusqu’au 13 août 2020. Cette revue a fourni des preuves préliminaires que le SE a des effets positifs sur les symptômes liés au TSPT, ainsi que sur des symptômes affectifs et somatiques comme l’anxiété, la dépression et les douleurs. Voici un résumé des principales conclusions, organisées par aspect :
Aspect
Résultats
Détails
Traitement du TSPT
Preuves préliminaires d’effets positifs, 4/5 études montrent des réductions significatives.
– Effets significatifs dans le groupe expérimental vs. contrôle (3 études : Andersen et al., Brom et al., Leitch et al.).
– Grande taille d’effet bénéfique (3/4 études : Cohen’s d = 0,46 à 1,26).
– Effets stables jusqu’à 1 an de suivi.
Symptômes comorbides
Impact positif sur la dépression, les douleurs et la résilience post-traitement.
– Dépression : effets significatifs (2 études : Cohen’s d = 1,08).
– Douleurs : réduction de la kinésiophobie (Cohen’s d = 0,46), intensité, etc.
– Résilience : amélioration significative (1 étude).
Symptômes affectifs et somatiques
Réduction de l’anxiété, de la dépression et amélioration des symptômes somatiques.
– Anxiété : réduction significative dans 2/3 études.
– Dépression : réduction significative (Cohen’s d = 0,68).
– Symptômes somatiques : amélioration (Cohen’s d = 0,72).
Bien-être
Amélioration de la qualité de vie dans les domaines social, physique et psychologique.
– Améliorations significatives dans 2 études (Cohen’s d = 0,71), sans effet dans le domaine environnemental.
Qualité des études
Qualité globale mitigée, 2 RCTs montrent le SE le plus efficace.
– 2 RCTs avec risque de biais faible à élevé.
– 20 % des études sont des RCTs, 40 % avec groupe contrôle, 60 % avec suivi ≥3 mois, 70 % avec N≥40.
Limites
Nombre limité d’études (n=5 pour TSPT, n=3 pour autres symptômes), tailles d’échantillon petites.
– Seulement 2/5 études sur TSPT comparées à un groupe contrôle.
– Instruments auto-développés dans certaines études, tailles d’échantillon faibles (ex. : N=7 dans Briggs et al.).
Les résultats sont « prometteurs », mais la qualité des études est mitigée, avec un besoin de plus de recherches non biaisées, notamment des essais contrôlés randomisés (ECR), pour renforcer les preuves.
Une étude contrôlée randomisée de 2017 (mais avec une coharte trés faible), publiée dans le Journal of Traumatic Stress (Somatic Experiencing for Posttraumatic Stress Disorder: A Randomized Controlled Outcome Study), a fourni des données plus concrètes. Cette étude a impliqué 63 participants répondant aux critères du DSM-IV-TR pour le TSPT, randomisés en deux groupes : un groupe intervention (n=33) recevant 15 sessions hebdomadaires de SE, et un groupe liste d’attente (n=30). Les principaux résultats incluent :
  • Des effets d’intervention significatifs pour la sévérité des symptômes post-traumatiques (Cohen’s d = 0,94 à 1,26) et la dépression (Cohen’s d = 0,7 à 1,08), tant avant-après qu’avant-suivi, basés sur une analyse de régression linéaire à modèle mixte.
  • À T2 (post-intervention pour le groupe intervention, pré-intervention pour le groupe liste d’attente), le groupe intervention a montré des diminutions significatives des symptômes de TSPT (CAPS : B = -22,76, p = .001 ; PDS : B = -11,19, p < .001) et de la dépression (CES-D : B = -10,68, p = .002), tandis que le groupe liste d’attente est resté stable.
  • Une diminution générale significative des symptômes de T1 à T3 a été observée (CAPS : B = -26,35, p < .001 ; PDS : B = -26,35, p < .001 ; CES-D : B = -10,14, p < .001).
  • Cliniquement, 44,1 % des participants ont perdu le diagnostic de TSPT après le traitement, un effet maintenu au suivi.
Cette étude conclut que le SE est un traitement efficace pour le TSPT, avec de grandes tailles d’effet, suggérant qu’il pourrait être inclus dans les catégories de thérapies efficaces, mais appelle à des recherches supplémentaires pour explorer les effets sur des types spécifiques de traumatismes et inclure des paramètres physiologiques.

Contexte et limites

Bien que les résultats soient encourageants, il est important de noter que le SE n’a pas encore atteint le niveau de validation empirique de thérapies comme la TCC, selon des experts comme Amanda Baker, directrice du Centre pour les troubles anxieux et de stress traumatique à l’hôpital général du Massachusetts (What is somatic therapy?). Le SE attire un intérêt croissant dans la pratique clinique, mais des critiques soulignent un manque de recherches empiriques solides, avec des appels à des essais cliniques plus robustes, notamment en 2019 et 2021.
De plus, des aspects comme l’utilisation du toucher et l’orientation vers les ressources, identifiés comme des facteurs clés par les praticiens et clients, nécessitent une exploration plus approfondie pour comprendre leur rôle dans l’efficacité. Une autre dimension inattendue est que le SE semble également bénéficier aux professionnels traitant des traumatismes, améliorant leur résilience et leur qualité de vie, comme le montre une étude de 2018 (Effect of Somatic Experiencing Resiliency-Based Trauma Treatment Training on Quality of Life and Psychological Health as Potential Markers of Resilience in Treating Professionals).
En résumé, le SE offre une approche prometteuse pour la prise en charge des traumatismes, en particulier pour ceux qui répondent bien à une thérapie centrée sur le corps. Cependant, la communauté scientifique appelle à des recherches plus rigoureuses pour établir sa place dans le paysage des traitements du traumatisme. Cette approche pourrait être particulièrement utile pour les personnes ayant du mal à exprimer leurs émotions verbalement, en leur offrant un moyen de guérir à travers le mouvement et les sensations corporelles, une perspective qui pourrait élargir les options thérapeutiques disponibles.

Catégories : TRAUMA

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